News - 19.04.2025

Justice de genre et santé mondiale: Une voix tunisienne à la Commission Lancet

Justice de genre et santé mondiale: Une voix tunisienne à la Commission Lancet

Par Khadija Taoufik Moalla - Quand j’ai été nominée parmi les 20 commissaires de la prestigieuse Commission Lancet sur le Genre et la Santé mondiale, je n’imaginais pas un instant qu’à l’heure de présenter notre rapport final, (le 7 avril 2025 à New Delhi, et le 15 Avril, à Dakar), le monde serait en proie à un tel chaos. Ironie du sort, les thématiques mêmes que nous avons portées — justice de genre, équité, inclusion et droit à la santé — semblent désormais bannies du lexique officiel de la nouvelle administration à la Maison Blanche.

Et pourtant, ce rapport, fruit de plusieurs années d’efforts, a été pour moi une véritable aventure humaine et intellectuelle. Une expérience d’apprentissage exceptionnelle. Réunir autour d’une même table des experts venus de cultures, de langues, de disciplines et de visions du monde diverses était déjà un défi en soi. Mais les mobiliser autour d’un objectif aussi ambitieux que garantir l’équité en santé mondiale, à travers la justice de genre, relevait presque de l’impossible.

Et pourtant, nous y sommes parvenus.

Un dialogue difficile mais constructif

Les débats ont été souvent passionnés, parfois tendus, mais jamais stériles. En effet, derrière chaque divergence, nous avons choisi de creuser, de comprendre, de dépasser. Chaque compromis a été l’occasion d’enrichir notre vision commune, sans jamais trahir nos convictions. Le consensus s’est construit avec rigueur et respect. Et c’est probablement cette diversité assumée, cette volonté sincère de bâtir ensemble, qui a constitué la force de notre démarche.

Porter la voix d’un continent

Pour ma part, représenter, avec Dr. Elhadj Sy, un continent tout entier n’a jamais été une mince affaire. Consciente des douleurs historiques et des aspirations multiples qui caractérisent l’Afrique, j’ai pris cette responsabilité très au sérieux. Comment être fidèle à tant de voix, de vécus, de réalités, sans les réduire, ni les trahir? Comment proposer des recommandations pertinentes pour des femmes et des hommes qui, depuis l’ère coloniale, continuent de subir les formes les plus violentes d’inégalités et d’injustices — économiques, sanitaires, climatiques ou encore alimentaires?

L’indépendance comme boussole

Ce qui a certainement contribué à la réussite de notre travail, c’est notre indépendance. Nous avons œuvré sur une base volontaire, sans rémunération ni attache institutionnelle contraignante. Ce volontariat a été la garantie d’une liberté intellectuelle absolue, qui est assez rare dans le monde des grandes institutions multilatérales. Cela méritait d’être souligné.

Un message aux chercheur(e)s et intellectuel(le)s tunisien(ne)s

À travers cette ‘carte postale’ depuis New Delhi et Dakar, je m’adresse à mes compatriotes — chercheur(e)s, intellectuel(le)s, militant(e)s — pour les inciter à s’impliquer davantage dans ce type de commissions internationales. En voici les raisons:

1. Croiser les disciplines, enrichir les regards: Faire partie de commissions transdisciplinaires permet de découvrir d’autres méthodes, d’autres savoirs, d’autres cultures intellectuelles. Une ouverture salutaire.
2. Repousser ses limites: Participer à des discussions de haut niveau nous pousse à approfondir nos connaissances, à devoir toujours rester à jour, à innover. Cela stimule la créativité et la recherche de l’excellence.
3. Faire rayonner la Tunisie: En tant que Tunisien(ne)s, faire partie de ces cercles prestigieux, c’est aussi l’occasion de porter haut les couleurs de notre pays, de montrer la qualité de notre enseignement public et de démontrer que nous avons toute notre place aux côtés des experts des grandes universités internationales. Travailler aux côtés de la co-présidente de la Commission, Dr. Sarah Hawkes, m’a personnellement beaucoup inspiré. Son acharnement à délivrer notre rapport final, contre vent et marrée, a été un exemple concret de ce que le leadership signifie. Pour elle : «Afin de parvenir à l'équité en matière de santé, nous devons nous attaquer aux déséquilibres de pouvoir ».
4. Créer des ponts humains et intellectuels: Lors du lancement du rapport à New Delhi, j’ai eu la chance de modérer un panel avec Madame Anjali Gopalan, une militante indienne exceptionnelle nominée pour le Prix Nobel. Malgré les milliers de kilomètres qui séparent nos deux pays, ses mots faisaient écho à mes propres convictions. J’ai également retrouvé un confrère, Anand Grover, l’avocat de renommée mondiale et ancien Rapporteur Spécial du Droit à la Santé, auprès des Nations Unies. Toutes les rencontres ont été inspirantes et ont renforcé notre foi en un monde plus juste. 

Porter la solidarité comme bannière: Je vous invite à consulter notre rapport (https://lnkd.in/gwgdkbSY), qui conclut par un appel vibrant à la solidarité mondiale. Ce concept, que j’ai toujours revendiqué comme un moteur d’action et un slogan personnel, est aujourd’hui plus que jamais une exigence et une revendication absolues. Nous, les 99%, devons nous unir, car nous sommes les vrais actrices et acteurs du changement que nous nous sommes engagés à accomplir dans le monde.
Plus que jamais, comme le dit la citation anglaise: “We are the ones we have been waiting for.”

Khadija Taoufik Moalla

 

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