News - 13.06.2025

Révélation : Comment le Dr Abderrahmen Mami a déjoué, en juin 1952, la tentative d’empoisonnement de son altesse Lamine Pacha Bey

Révélation : Comment le Dr Abderrahmen Mami a déjoué, en juin 1952, la tentative d’empoisonnement de son altesse Lamine Pacha Bey

Par Mondher Mami - L’année 1952 a été caractérisée par la dégradation de la situation politique en Tunisie en raison notamment:

 de l’abus par la France de l’usage de ses droits et prérogatives en passant d’un régime de protectorat à un régime colonial,
 des pressions exercées par la Résidence Générale pour contraindre le Bey Lamine à céder certains de ses pouvoirs alors que ce dernier était engagé dans le giron de la Tunisie combattante,
 du refus de projet de réformes présenté par le Résidant Général à Tunis, signifié directement par son Altesse Lamine Pacha Bey au Président de la République Française,
 du "coup de force" du 26 Mars se traduisant par la destitution du Grand Vizir M’hamed Chenik en raison de sa proximité avec le Mouvement Nationaliste et pour avoir porté le différend Tuniso-Français devant l’ONU,
 du durcissement significatif de la répression dès l’arrivée du nouveau Résident Général Jean de Hauteclocque et par l’engagement des troupes françaises dans l’opération "ratissage du cap bon" qui est devenu le théâtre d’opérations militaires violentes menées par la Légion Etrangère.
 du passage du Mouvement Nationaliste, considéré comme socio-politique, à la résistance armée en alternant entre négociations et affrontements au gré des évènements.

C’est dans ce contexte politique délétère marqué par des interventions armées des autorités coloniales et par un accroissement des inégalités que la tentative d’empoisonnement du Bey de Tunis fut dévoilée.

A l’origine, une visite en date du 6 juin 1952, du docteur Abderrahmen Mami (par ailleurs premier médecin du Bey et de sa famille) au domicile de la Princesse Rekaya, demeurant à la Marsa Ville, pour examiner sa fille prétendument malade. Le médecin, ayant constaté que la fille en question était bien portante, s’est enquis de la santé de la mère qui, selon lui, présentait des signes émotionnels.

C’est alors que cette dernière décida de se confier à lui et de le mettre au courant de l’affaire qui la préoccupait.

Selon la Princesse Rekaya, du fait de leurs liens familiaux et amicaux, le Prince Sadok Bey (Brijni Bey: deuxième Bey dans la ligne de succession au trône), a porté à sa connaissance le complot qui se tramait entre lui et certains représentants de l’administration du protectorat à l’encontre du Bey régnant.

D’après la Princesse Rekaya, le Prince Sadok a discuté avec M.M. Grellet (Directeur du Cabinet du Résident Général), Pons (Secrétaire Général du Gouvernement) et Jakobson (Directeur du deuxième bureau du Renseignement), de la possibilité d’une tentative d’empoisonnement de son Altesse Lamina Pacha Bey.

Il convient de préciser que le Prince Sadok, frère du Bey du Camp Ezzedine (Successeur du Bey régnant) était connu pour sa sympathie envers le pays protecteur.

Cette sympathie était devenue manifeste, ce à la suite de l’envoi par ce dernier de deux correspondances au Président de la République Française datées du 7 novembre et du 14 décembre 1951 pour d’une part lui exprimer son allégeance et d’autre part lui demander de protéger la Tunisie par l’emploi de la force si nécessaire (1).

S’agissant du complot, la Princesse Rekaya, par ailleurs reconnaissante à Lamine Bey pour différentes raisons, fait part au Docteur Abderrahmen Mami de la rencontre chez elle “avec un ami” chargé de lui faire connaître les différentes étapes pour la réalisation du projet de complot, du rôle qu’elle a choisi d’être l’intermédiaire et de l’arrivée à la date du Jeudi 12 Juin du dénommé Ahmed Achouri pour lui remettre le paquet contenant le poison à charge pour elle de le faire parvenir à la cuisinière du Bey (sœur de sa propre cuisinière) pour le servir dans l’un des repas de Lamine Bey.

Informé de la remise du poison, le Docteur Abderrahmen Mami, qui avait déjà sensibilisé la famille Beylicale sur cette affaire, s’est rendu au domicile de la Princesse Rekaya, en compagnie du Prince M’hamed Bey (fils de Lamine Bey) pour récupérer le poison en question moyennant le paiement à l’intermédiaire d’un montant de 775.000 Francs (1) (2).

Ce dernier après avoir reconnu les faits avait promis de revenir le lendemain pour faire des déclarations complémentaires. Néanmoins, personne ne l’avait plus revu depuis ce jour.

Selon le journal La Presse du 22 Juin 1952, ce dernier aurait été assassiné et enterré à La Marsa alors que le journal Assabah du même jour annoncé sa fuite à l’étranger.
Il y a lieu de préciser que le sieur Achouri, d’origine algérienne et commerçant en tissus dans les souks de Tunis, était connu pour être un collaborateur du renseignement français et porteur d’un permis de libre circulation en Tunisie délivré le 20 Mai 1952 par le Général Garbay à la demande du Sadok Bey en tant qu’ami du prince (1).

Muni du poison, le Docteur Abderrahmen Mami, accompagné du Prince M’hamed Bey, s’est rendu directement au Palais de Carthage.

Une fois arrivé au palais, il exigea tout d’abord de faire procéder à l’analyse de la poudre en question.

A cet effet, il fît appel au docteur biologiste Abdessalem Khaled. Ce dernier, n’étant pas convaincu de la létalité de la poudre, en gouta une parcelle qui a eu pour effet immédiat de le faire tomber en syncope.

Après les soins prodigués par les Docteurs Mami et Ben Salem (gendre du Bey Lamine), le Docteur Khaled a pu surmonter cet accident de santé.
Les analyses effectuées par la suite à Paris confirmèrent que ce poison appelé "Aconitine" est un alcaloïde hautement toxique pouvant être fatal.A la suite de cet évènement, son Altesse Lamine Pacha Bey, après consultation de ses conseillers juridiques, demanda au Docteur Abderrahmen Mami d’aller déposer, personnellement et au nom du Bey, une plainte au poste de police de La Goulette et par la suite a choisi les avocats Me Fethi Zouhir et Me George Isnard pour le suivi de cette affaire.

Cette dernière a occupé les esprits des Assemblées, Associations, opinions publiques en Tunisie et à l’étranger. En Tunisie, outre la couverture médiatique de cet évènement qui évoqua la forte émotion du peuple, une grève générale fût déclenchée dans tout le pays à partir de la date du 13 Juin.

De son côté, la presse française assura une large couverture à cette affaire alors que l’Assemblée Nationale, débattant de la politique française en Tunisie, interpella le Ministre Robert Schuman et lui demanda de faire toute la lumière sur cette affaire (La Presse 15 Juin 1952).

A ce jour, cette affaire ne connut aucune suite.

Toutefois, le quotidien Français Le Monde dans sa livraison du 9 Septembre 1952 titrait “Arrêté en Algérie l’ "Empoisonneur" du Bey serait transféré à Tunis”.

(1) تونس الثائرة de Ali Belahouane
(2) Assabah du 17 Juin 1952

Mondher Mami
Le 11 Juin 2025
 

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